Le champagne avant les bulles : un vin tranquille

Avant de jaillir en une effervescence éclatante, le champagne était originellement un vin tranquille, c’est-à-dire un vin sans gaz carbonique naturel ni bulles. Aux XVII et XVIII siècles, les vins produits dans la région de Champagne étaient majoritairement des vins rouges légers, élaborés à partir de pinot noir ou de pinot meunier. On produisait également des vins blancs, mais ces derniers étaient souvent considérés comme de qualité inférieure.

En effet, à l’époque, la maîtrise des processus de fermentation était encore incertaine. Avec les hivers rigoureux du nord-est de la France, la fermentation des vins se stoppait souvent prématurément lorsque la température baissait. Les vins finissaient ainsi leur fermentation au printemps, lorsque les températures remontaient. Ce phénomène causait une légère effervescence, jugée à l’époque comme un défaut, car les bouteilles avaient tendance à éclater sous la pression.

L’apport de Dom Pérignon et les prémices de l’effervescence

Impossible de parler du champagne sans évoquer Dom Pérignon, ce moine bénédictin du XVII siècle souvent crédité, à tort ou à raison, pour "l’invention" du champagne. En réalité, le travail de Dom Pérignon s’est davantage concentré sur l’amélioration des pratiques viticoles et le perfectionnement des assemblages de vins. Il posait ainsi les bases d’une vinification plus aboutie en sélectionnant les meilleurs raisins et en limitant les mauvaises fermentations.

Mais si Dom Pérignon n’a pas véritablement inventé le champagne pétillant, il a néanmoins marqué un tournant significatif dans la qualité des vins de Champagne. Ces derniers, encore majoritairement tranquilles, continuaient à intriguer par leurs effervescences accidentelles. À cette époque, le vin pétillant n’était pas encore perçu comme un produit noble, mais davantage comme une curiosité.

Les progrès techniques et l’apparition du champagne pétillant

La transformation du champagne en véritable vin pétillant résulte de plusieurs avancées techniques majeures qui ont vu le jour au XVIII siècle.

1. La redécouverte de la fermentation en bouteille

Le processus clé pour obtenir un vin effervescent est ce que l’on appelle la seconde fermentation en bouteille. Concrètement, cela consiste à ajouter une petite quantité de sucre et de levures dans le vin tranquille, une pratique qui favorise une nouvelle fermentation directement dans la bouteille. Celle-ci libère du gaz carbonique qui se retrouve piégé dans le vin, formant ainsi les fameuses bulles.

Au départ, les producteurs champenois n’avaient pas saisi tout le potentiel de cette méthode. Mais en étudiant les techniques venues d’Angleterre, où l’effervescence était déjà recherchée, les maisons de Champagne ont perfectionné leurs pratiques, notamment grâce aux avancées dans le travail du verre et dans la compréhension des fermentations par les chimistes de l’époque.

2. Les innovations dans les bouteilles et leur fermeture

L’un des défis majeurs pour produire un vin pétillant réussi était lié à la fragilité des bouteilles. Avant le XVIII siècle, les bouteilles en verre produit en France étaient trop fines pour supporter la pression exercée par le gaz carbonique. C’est là que les ateliers verriers anglais ont joué un rôle décisif : ils ont introduit un verre plus résistant, fabriqué à partir de charbon plutôt que de bois. Ces bouteilles robustes ont permis au champagne pétillant de devenir une réalité viable.

Par ailleurs, le remplacement des bouchons en bois par des bouchons de liège, attachés à l’aide de ficelles, a optimisé la conservation de l’effervescence. Ce système, ancêtre du muselet métallique que nous utilisons aujourd’hui, a marqué une étape déterminante dans l’histoire du champagne.

3. Les découvertes sur la fermentation grâce à la science

Parmi les figures clés ayant contribué à populariser et à perfectionner le champagne effervescent, on mentionne souvent Louis Pasteur, au XIX siècle. Si Pasteur n’a pas travaillé spécifiquement sur le champagne, ses recherches sur la fermentation et les levures ont aidé les vignerons champenois à mieux maîtriser les processus en œuvre dans leurs caves.

La conquête des tables européennes

À partir de la fin du XVIII siècle, le champagne effervescent, autrefois un produit rare et marginal, a conquis les cours royales et aristocratiques d'Europe. Les maisons champenoises ont rapidement compris l’intérêt de promouvoir cette boisson scintillante comme un vin de luxe et de fête. Les salons parisiens, en particulier, ont joué un rôle central dans cette ascension du champagne pétillant en tant que boisson à la mode.

La maison Ruinart, fondée en 1729, est à ce titre la plus ancienne maison de champagne toujours en activité. Moët & Chandon, Veuve Clicquot, et d'autres noms emblématiques ont contribué à l'exportation de ce nectar qui représentait non seulement un plaisir de boire, mais aussi une image de raffinement et de prestige.

Et aujourd’hui ? Un retour à la diversité

Ironiquement, alors que le champagne est célébré dans le monde entier pour son effervescence, un petit nombre de vignerons champenois s'intéressent à une production de champagnes tranquilles. Appelés « coteaux champenois », ces vins tranquilles, rouges ou blancs, sont les héritiers de la tradition pré-effervescente de la région. Bien qu’ils représentent une infime part de la production, ils témoignent de la richesse et de la diversité du patrimoine viticole champenois.

À l’inverse, sur le marché des champagnes effervescents, les styles se diversifient également. On trouve désormais des champagnes millésimés, des cuvées extra-brut ou nature, et même des déclinaisons rosées. Ce foisonnement d’options permet à chacun de (re)découvrir le champagne sous l’angle qui lui plaît et de l'intégrer à son quotidien bien au-delà des grandes célébrations.

Les bulles, toujours synonymes de fascination

Le champagne, tel que nous le connaissons aujourd’hui, est le fruit de siècles d’histoire et d’innovations, passant d’un vin tranquille aux effervescences incontrôlées à un symbole d’excellence maîtrisée. L’effervescence en elle-même n’est donc pas innée, mais le résultat d’une véritable aventure humaine, entre découvertes scientifiques et prouesses techniques.

Ces fines bulles, si caractéristiques du champagne, ne sont finalement qu’un des visages d’un vin bien plus complexe et singulier qu’il n’y paraît. Alors que vous déboucherez votre prochaine bouteille, souvenez-vous que ces petites perles de gaz racontent toute une histoire, celle de la quête de perfection d’un vin devenu mythique.

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