Avant de parler de bulles, il faut revenir à l’essence même de la production en Champagne. Pendant une grande partie du Moyen Âge et de l’époque moderne (jusqu’au XVIIe siècle), les vins produits dans la région étaient avant tout des vins tranquilles. En d’autres termes, il n’y avait pas de mousse, aucun pétillant. La Champagne fabriquait des vins rouges ou blancs encore, souvent concurrencés par les célèbres vins de Bourgogne.
Les raisons de cette tranquillité ? La maîtrise incomplète des procédés de vinification, mais aussi les conditions climatiques. Le climat frais de la région limitait parfois la fermentation en automne, le froid stoppant le développement des levures. Lorsqu’au printemps les températures remontaient, le vin pouvait reprendre sa fermentation… à l’intérieur des bouteilles ! Ce phénomène imprévu donnait naissance à des bulles incontrôlées, mais aussi à des explosions de bouteilles dans les caves. Un inconvénient majeur pour les vignerons de l’époque.
À partir du XVIIe siècle, certains consommateurs commencèrent à apprécier cette mousse naturelle, même si elle était encore rare. Cette facétie de la nature marquait les esprits. C’est en Angleterre que l'engouement débuta réellement. Les Britanniques, grands amateurs de vin français, jouèrent un rôle clé dans l’histoire du champagne effervescent.
Contrairement aux Français, les Anglais utilisaient des bouteilles en verre plus épaisses, produites grâce à des fours chauffés au charbon – une méthode rendue possible dès le XVIIe siècle. Ces bouteilles résistantes étaient capables de supporter les pressions causées par la fermentation. En outre, les Anglais avaient l’habitude d’ajouter du sucre dans leurs vins français, ce qui pouvait renforcer la fermentation et donc la formation de bulles. Sans le savoir, ils expérimentaient déjà les prémices de la prise de mousse.
Impossible d’évoquer l’histoire du champagne sans parler de Dom Pérignon, le célèbre moine bénédictin de l'abbaye d'Hautvillers, souvent considéré à tort comme l’inventeur du champagne. En réalité, son rôle fut différent. Plutôt que d’inventer les bulles, Dom Pérignon se concentra sur le perfectionnement des techniques de vinification et l’art de l’assemblage des crus.
Une des grandes réussites de Dom Pérignon fut d’observer les caractéristiques des raisins provenant de différents terroirs de Champagne et de comprendre l’importance de les assembler pour produire un vin équilibré. Certains historiens affirment également qu’il aurait utilisé les premières formes de bouteilles renforcées et des bouchons en liège importés du Portugal, préalablement trempés dans l'huile pour assurer une meilleure étanchéité. Ces éléments contribuèrent à rendre la fabrication plus fiable, mais la maîtrise des bulles restait encore loin d’être parfaite.
Durant les XVIIe et XVIIIe siècles, les producteurs de Champagne continuaient d’expérimenter autour des vins pétillants. Petit à petit, des avancées techniques commencèrent à permettre un certain contrôle. Voici quelques-unes des innovations marquantes :
Cependant, ces techniques restaient encore imparfaites : la part des bouteilles qui éclataient sous la pression, appelée "casse", pouvait atteindre 20 à 30 %. De véritables pertes pour les producteurs !
Autre problème majeur à cette époque : les champagnes effervescents produits avant la méthode moderne étaient souvent troubles. Les dépôts, résidus des levures mortes après fermentation, flottaient dans les bouteilles. Si cela n’empêchait pas l'appréciation du goût, l’apparence laissait à désirer. Ce n’est qu’à partir du début du XIXe siècle que Barbe-Nicole Clicquot, veuve et entrepreneuse visionnaire, développa la technique du remuage, permettant d’éliminer ces dépôts et d’obtenir un vin d’une clarté limpide.
Ce n’est qu’au cours du XIXe siècle que les techniques furent véritablement standardisées, menant à ce que nous appelons aujourd’hui la méthode traditionnelle. Le processus, qui inclut une seconde fermentation en bouteille, le dégorgement et l’ajout de la liqueur de dosage, permit de stabiliser la production et de proposer un vin pétillant régulier.
Avant cette révolution, le champagne était donc davantage un produit du hasard que le résultat d’un savoir-faire maîtrisé. Cependant, loin d’être un obstacle, ces tâtonnements historiques furent à l’origine de toutes les innovations qui nous permettent aujourd’hui de savourer des bulles parfaitement calibrées.
Découvrir comment le champagne était élaboré avant l’apparition de la méthode moderne, c’est s’immerger dans une fascinante histoire d’expérimentation, de hasard et de progrès. Comprendre cette évolution nous rappelle que le Champagne que nous dégustons aujourd’hui est non seulement un produit raffiné, mais aussi le fruit du génie humain à dompter la nature.
Chaque bulle contemporaine est donc un clin d’œil aux errances – parfois explosives ! – de nos ancêtres. Et si ces anecdotes historiques vous inspirent, pourquoi ne pas lever votre prochaine coupe à ces pionniers qui, souvent involontairement, ont posé les bases de cet art tout en effervescence !
J'espère que cet article saura captiver vos lecteurs et enrichir leur compréhension historique autour du champagne ! 🥂